Etudes - Monde du travail : Le grand saut ?!

 

Je vais essayer de faire un premier bilan, je vais donc aussi devoir vous parler de moments difficiles.

Je vais vous raconter mon expérience chronologiquement.

Mon Diplôme date de Juillet 2000, et ce jour la j’ai été bien contente de le recevoir. Mais ce que j’avais oublié de faire était de me demander ce qui arrivera après.

Quelqu’un m’avait averti que la phase post-mémoire pourrait être difficile, mais moi je n’y ai pas trop pris garde, maintenant je sais que cette personne avait raison et beaucoup d’étudiants (même ceux qui n’ont pas fait d’études d’interprétariat) tombent après les études dans ce qu’on appelle un „ trou noir “.

 

Avec „ trou noir “ je pense à ce qui m’est arrivé après mes études, au mois de septembre 2000. Je me suis trouvée dans la situation de ne pas savoir comment continuer ma propre vie.

Surtout pour les interprètes, il faut prendre la décision de savoir si on veut „ crever la faim “ en tant que freelance ou prendre une place qui ne correspond pas à notre formation, vu qu’il est quasi impossible (à Berlin) de trouver une place fixe d’interprète.

 La situation est naturellement différente pour les traducteurs, mais moi je suis interprète, et depuis longtemps je savais que je n’avais pas envie de traduire des textes techniques dans un bureau. Donc à la fin des études la question se pose : devenir secrétaire européenne (si vous voulez „ assistante “, mais c’est la même chose) ou se battre sur le marché libre et ne pas avoir de jobs et ne pas savoir comment payer le loyer à la fin du mois, et finir sous un pont ?

Mais ce n’est pas seulement le fait de devoir prendre une décision qui fait tomber plusieurs neodiplomés dans ce trou, mais également le changement total de vie. Finir les études ne veut pas seulement dire chercher un travail et le faire, mais c’est aussi un bouleversement total de la manière de vivre que l’on a eu pendant des années, de l’école primaire à la fin des études (de 6 à 22, 25 ou 28 ans.). Finir les études signifie aussi changer de priorités. Pendant toute ma vie scolaire ma priorité était de passer mon année, avoir mes examens, avoir ma licence, finir mon mémoire. A la fin des études tout cela perd de son importance, on a passé toutes les années scolaires possibles et imaginaires, on a eu tous les examens nécessaires, on a écrit des pages et des pages de mémoires et on se retrouve sans but défini (mais au moins on a appris à taper à la machine.). Gagner beaucoup d’argent ? Avoir un travail agréable ? Faire un enfant et renoncer pour l’instant aux deux premiers ? Déménager ? Rentrer dans son pays d’origine ? Ecrire un doctorat ? Toutes ces questions que je me suis posée au mois de septembre 2000. Pour moi cette phase a été particulièrement difficile aussi parce que jusqu'à ce jour ma vie avait toujours été subtilement dirigée par mes parents. Aller à l’école, passer le bac et donc faire des études. Je n’ai jamais dû réfléchir à mon futur. La philosophie familiale était la suivante, tu as été à l’école, tu vas donc pouvoir passer ton bac, tu as passé ton bac, tu vas donc faire des études. Une carrière de vie prédéfinie.

 

Je me suis donc trouvée plus ou moins pour la première fois dans la situation de devoir décider de mon futur. Le tout est très personnel, mais en discutant avec d’autres ex-étudiants je me suis rendue compte de ne pas avoir été la seule dans ce trou noir. Confrontée à la grande question : „ que faire de moi-même “ ?

Il y a bien sûr beaucoup d’autres expériences personnelles, mais par exemple une autre interprète ancienne étudiante de la Humboldt m’a dit qu’il y a beaucoup de couples qui ne tiennent pas le coup du changement de priorités. Les copains d’interprètes (pour être politiquement correcte je vais dire aussi les copines, mais je n’ai aucune information à ce propos.) se retrouvent subitement avec une copine stakhanoviste, qui veut absolument faire carrière dans son travail, tandis qu’en tant qu’étudiante elle ne faisait rien d’autre que dormir, s’occuper de la maison et parfois essayer de parler plus fort et plus vite que Schröder sur Phœnix dans une lange étrangère.

Je vous rassure ce n’est pas toujours le cas. En ce qui me concerne, je suis toujours avec mon copain et surtout je ne crois pas que ce soit spécifique aux interprètes, je pense que dans tous les couples où il y en a un qui change de vie, l’autre peut avoir des difficultés à suivre.

Finir les études c’est un changement radical de vie, et si vous y arrivez essayez de réfléchir à vos priorités une fois les études terminées.

Mais bon, moi j’ai bien survécu, d’ailleurs en faisant comme la majorité de celles que je connais et qui ont fini : je me suis réinscrite à la fac (en linguistique allemande, et histoire médiévale) ! J’avais plus ou moins décidé de me lancer sur le marché des interprètes mais de mauvaises informations m’ont fait paniquer, comme par exemple le problème des assurances. Ce n’est pas parce qu’on est indépendant que l’on doit payer 600 DM par mois d’assurance maladie ! Si on ne gagne rien, on continue à payer la cotisation minimale , donc la même que celle que vous payez en tant qu’étudiants . Mais je crois, que comme beaucoup d’autres, avoir le statut d’étudiant m’a rassurée. Si vous voulez, je me suis simplement laissée plus de temps de réflexion. Voilà ce qui en est du premier, ou des deux premiers mois après le Diplôme : une sensation de vide aussi parce que les 6 derniers mois de vie on été passés avec l’idée constante, voire obsédante, de devoir finir le mémoire, sans jamais pouvoir l’oublier ne serait-ce qu’une minute.

Bien décidée à repousser au maximum l’échéance de mon entrée définitive et irrémédiable dans le monde du travail et à conserver mon statut d’étudiante quelques années encore je fus rattrapée par le destin qui vint frapper à ma porte.

 Quelqu’un m’a appelée pour une conférence ! Ceci m’amène au point suivant qui est d’inciter les étudiants à travailler, à accepter des emplois d’interprète ou de traducteur pendant leurs études, n’ayez pas peur !

À ceux qui sont au début de leurs études je conseille de travailler en tant qu’hôtesse-interprète aux salons et foires. En faisant ce job, j’ai premièrement appris que l’interprétariat bilatéral tel qu’on le pratique à la fac ne correspond pas à ce que l’on rencontre dans la réalité, vu que les personnes aux salons ne lisent pas leur texte et que c’est vous qui dirigez toute la conversation. Personnellement je n’ai vu aucun interprète parler à la première personne du singulier, en fait les personnes à qui vous avez affaire n’ont pas l’habitude des interprètes et vous disent „ dites lui que.. “. Elles vont vous demander votre opinion, faire des commentaires sur la cravate de leur interlocuteur qui va naturellement vous demander, „ qu'est-ce qu’il a dit ? “. Et cela pas seulement durant les salons, mais aussi après, dans la vraie vie d’interprète.

C’est difficile à expliquer, mais vous n’allez jamais faire un contre-sens en bilatérale, vous allez vite apprendre à demander tout ce que ne vous comprenez pas (et quand c’est technique vous aller toujours vous en sortir avec des dessins .). En plus durant les salons vous allez apprendre plein de vocabulaire qui pourra toujours vous être utile (le monde technique a besoin de beaucoup de traducteurs) et surtout vous allez vous faire des milliers de contacts, et les relations c’est, selon moi, la base du début de carrière de l’interprète freelance. Vous allez aussi apprendre à faire tous types de cafés, vous empiffrer de chocolat et avoir les pieds gonflés, mais pour tout cela vous allez être payés . Si en plus, comme moi vous avez l’occasion de travailler en simultanée ou en consécutive déjà pendant vos études, n’hésitez pas, faites le ! Vous avez toujours la très bonne excuse d’être étudiants et donc imparfaits (!) et vous êtes entra”nés comme vous ne le serez probablement plus jamais dans votre vie. Personnellement, ma chance a peut-être été d’être de langue maternelle italienne et française, ce qui m’a donné l’occasion pendant mes études de travailler en tant qu’interprète à quelques conférences. Même si a chaque fois j’ai eu très peur de ne pas être à la hauteur (rassurez-vous, la peur est restée.) je l’ai quand-même fait vu que j’ai toujours besoin d’argent ! Mais là aussi, pour la simultanée, je vous le dis, quand il n’y a personne qui a le texte et contrôle si vous avez bien dit 3 adjectifs, sana oublier que vous êtes les seuls à comprendre celui qui parle, c’est totalement différent. Normalement pour une conférence vous allez être préparé, vous avez un thème, une personne qui va parler et qui a sûrement déjà parlé à d’autres conférences, et pas oublié de mettre son texte sur Internet. La première chose à faire est de rechercher sur Google „ Bové anti-mondialisation “ et vous allez trouver des tonnes d’articles sur ce sujet. En un rien de temps la peur du grand jour va faire de vous des experts en matière de mouvement anti-mondialisation ! 

Voilà selon moi une chose qui n’est presque pas prise en considération à la fac : la préparation c’est la moitié du travail ! Quand vous êtes préparés, même si vous ne comprenez pas une phrase ou un paragraphe vous saurez toujours de quoi il s’agit et vous allez finir par trouver une phrase qui s’intègre très bien dans son discours ! Mais ce n’est pas à moi de vous donner des conseils.

 Une autre chose à savoir : on arrive plus souvent que l’on croit à avoir le texte ! Même si celui qui parle ne s’en tient pas exactement au texte qu’il vous a donné, le fait de l’avoir lu une fois (eh oui, bien souvent vous allez recevoir le texte à peine avant le début de la conférence !) vous aura donné une idée du contenu et montré quelles pourraient être les difficultés ! Il ne faut pas non plus oublier que normalement on est à deux dans une cabine, et si vraiment vous ne comprenez rien, alors l’autre pourra vous aider en cherchant des mots dans le dictionnaire ou en écrivant les chiffres pour être sûr de ne pas vous tromper !

Encore une parenthèse : n’aillez pas peur des interprètes établis, ils ne vont pas vous juger - ce ne sont pas des Profs ! - , ils ne vont pas vous considérer en tant que concurrente et donc être tes patients et vous aider, faire les textes difficiles, et finir la journée quand vous avez déjà travaillé pendant 8 heures.

Je vous conseille donc de travailler comme interprète ou traducteur dès que vous en avez l’occasion (j’ai d’ailleurs aussi travaillé comme traductrice dans un bureau de traduction technique, et là aussi ce que j’ai appris à la fac ne m’a pas aidée beaucoup vu que, premièrement on traduisait avec un ordinateur et donc un correcteur orthographique mais aussi avec un programme de traduction, que j’ai d’ailleurs effacé ce qui a eu pour conséquence mon licenciement, mais ça a été une expérience intéressante qui m’a au moins appris que je ne voulais pas devenir traductrice. !)

 

En tant qu’étudiante, j’ai beaucoup travaillé (aussi dans une entreprise de construction italienne) ce qui a sûrement contribué à ce fameux appel qui m’a sortie de ma dépression post-estudiantine. Étant donné que j’avais déjà travaillé quelqu’un qui s’est rappelé de moi et m’a appelée. C’est selon moi un point très important. Premièrement ces jobs sont importants parce que si les clients ont été satisfaits de vous ils vont vous rappeler, et deuxièmement vous aurez acquis de l’expérience pour d’autres jobs !

J’ai probablement eu de la chance parce qu’un jour, c’est vrai, quelqu’un m’a appelée, mais là j’en reviens aux relations. Il faut absolument dire à tout le monde qu’on est interprète, de langue maternelle, et que si un jour ils ont besoin de mes services ils peuvent m’appeler au ..., voici ma carte.

Je vais me répéter, mais ceci est très important à mes yeux : essayez d’acquérir de l’expérience le plus tôt possible, n’ayez pas peur, vous avez le bonus étudiant, et si ça se passe mal, ça sera d’ailleurs leur problème, vu que vous êtes étudiants· et racontez à tout le monde que vous êtes interprètes, traducteur de telle et telle langue. Aussi les contacts avec d’autres étudiants sont importants, vu que ceux qui n’ont pas vos langues se rappelleront de vous le jour où on leur demandera de faire une traduction du japonais vers le polonais (vous êtes bien traductrice, non ?).

Ainsi a débuté ma „ carrière “ (job d’hôtesse, relations). J’ai peut-être eu la chance d’être de langue maternelle et donc plus rare sur le marché, mais vu que moi je ne traduis jamais vers l’allemand (j’ai d’ailleurs promis à une prof de la fac de ne jamais le faire pour ne pas mettre en question la réputation de la Humboldt) il y en toujours un autre dans la cabine qui doit le faire à ma place ! En plus vous avez l’entraînement, il m’est aussi arrivé de ne plus faire d’ interprétariat pendant 2 mois et d’avoir beaucoup de mal à m’y remettre. D’ailleurs depuis ce jour-là je viens m’exercer ici les samedis (quand j’ai le temps), pour rester entraînée et être toujours prête à me remettre en cabine.

Même si j’ai eu de la chance, le fait d’attendre que quelqu’un m’appelle et me propose un job ne suffirait toujours pas à payer mon loyer. J’ai proposé mes services à plusieurs agences de traduction. Ce que je sais, et que je peux vous dire, est que dans ces cas-là il faut avoir un petit plus (vu que sinon ils travaillent avec leurs collègues établis et n’ont aucun besoin de nouveaux interprètes) qui peut être la langue maternelle, mais aussi et surtout une spécialisation. Moi, j’en ai une toute petite, vu que comme je le disais tout à l’heure j’ai travaillé dans une entreprise de construction. Aussi dans les listes du BDÜ par exemple la spécialisation est toujours précisée.

Quand vous vous présentez dans un bureau de traduction, ils pensent bien que vous parlez les langues, ce qu’ils veulent savoir c’est ce que vous savez faire d’autre.

Moi je pense qu’il est important de se spécialiser dans un domaine qui vous intéresse, et ne pas essayer de „ faire bien “ en disant que vous êtes spécialisé en économie, si vous la détestez. C’est aussi ce que nous disait Norbert Zänker lors d’une réunion d’information pour interprètes néophytes. Au début, votre spécialisation peut être n’importe quoi, mais elle doit être citée dans le C.V. pour vous différencier des autres 2000 interprètes à Berlin. Quand un jour le bureau aura une conférence de l’Oréal, il se souviendra de vous et de votre spécialisation en shampooings !

 

L’ année passée je me suis présentée à plusieurs agences, qui par fois m’ont appelée et par fois non ( pas encore !). Malheureusement ces agences m’ont appelée après avoir déjà appelé leurs 50 interprètes attitrés, qui ne pouvaient pas faire le job (très mal payé, à une date impossible telle que Noël). C’est là que j’ai toujours saisi l’occasion d’entrer vraiment dans l’agence, et peut-être de remonter sur leur liste. C’est sûr qu’on a aussi le droit de dire non une fois, mais sincèrement la seule fois que je l’ai fait on ne m’a plus jamais demandé. (Ils m’ont appelée à 7 h pour me demander d’aller travailler dans un bled perdu à la sortie d’autoroute blabla à 8h ! - je n’ai pas de voiture..., voyage non payé). Au début on n’a pas la possibilité de choisir.

Je suis aussi assermentée, mais jusqu’à aujourd’hui cela ne m’a encore servi à rien. Je devrais me présenter personnellement aux tribunaux, mais j’en n’ai pas encore eu le temps.

Je ne suis pas encore dans les pages jaunes, vu que je n’ai pas encore trouvé de pseudonyme et avec le nom Walter, je vais probablement me retrouver à la 5e ou 6e page de la branche.

Si je fais maintenant vraiment un bilan, je peux vous dire qu’au moins la moitié de mes jobs m’ont été donnés par des connaissances, tandis que l’autre moitié je l’ai eue par des agences . Très exactement j’ai eu en 2001, 33 Jobs. Il y en a eu de tout petits (le plus petit une traduction à 30,00 DM et le plus gros de l’interprétariat à 3200,00 DM) : mais tout cela ne me permet pas d’en vivre.

J’ai aussi un job „ fixe “ auprès d’une PME ici à Berlin, où je m’occupe de l’export. Je travaille 24 heures par semaine mais je peux y aller quand je veux. C’est pour moi une situation idéale, vu que je gagne assez pour pouvoir payer mon loyer même si je n’ai pas d’autres jobs et j’ai quand même le temps de travailler comme interprète. Ce Job a probablement été la chance de ma vie (merci Bagjack), vu que c’est seulement ainsi que j’ai pu exercer mon métier d’interprète sans trop paniquer si un mois je n’ai rien gagné à côté. (personnellement je suis très anxieuse et j’ai besoin de sûreté quelque part).

Ceci dit, j’ai toujours des heures à récupérer chez Bagjack vu que j’ai travaillé à une conférence, et je n’ai donc jamais le temps de chercher d’autres possibilités de travail (autres agences, traduction Internet etc.)

En acceptant de venir vous parler de mon expérience j’ai été obligée de faire un bilan. Je sais que je travaille beaucoup, probablement trop, et que je pourrais gagner le double (il faut dire que chez Bagjack je ne gagne pas vraiment beaucoup, l’entreprise appartient à un ami et le „deal “ était bon : je viens quand je veux et pour cette liberté c’est o.k. si je suis moins bien payée) en travaillant beaucoup moins, mais alors je serais assistante de quelqu’un et j’aurais probablement abandonné tout de suite ce pour quoi j’ai passé 7 ans à la fac.

Je vous ai parlé de mon expérience, mais il y en a beaucoup d’autres, une fille qui a fini un semestre après moi a trouvé un job fixe d’interprète et elle ne va probablement plus jamais avoir de problèmes d’argent dans sa vie (elle a assez gagné en deux ans de travail.), celle qui a fini avant moi a trouvé un poste ici à la fac.

Mais si vous voulez être freelance dans ce métier sachez que c’est comme pour toutes les freelances : le début n’est pas toujours très rose.

Guylaine Walter