La déforme de l'orthographe
Nous nous sommes récemment fait l'écho, des errements linguistiques que la France avait
connus ces dernières années en matière de féminisation de noms de métiers, grades,
titres et fonctions ainsi qu' en matière d'anglicismes. Or il se trouve que l' Allemagne
semble vouloir lui emboîter le pas en réformant son orthographe. À l'heure de la
mondialisation et de l' européanisation on se prépare à tous les sacrifices pour faire
peau neuve et se lancer dans un nouveau millénaire. Après l'abandon de leurs
frontières, de leur monnaie les membres de l'Union Européenne font tout pour conserver
leur ciment identitaire respectif la langue ce qui leur permet de se rapprocher de
cousins partageant le même espace linguistique. Ainsi on voit la France discuter avec la
Belgique, la Suisse et le Québec de ses projets de réforme et l'Allemagne fait de même
avec l'Autriche et la Suisse alémanique. Même si l'imposition d'une langue unique en
Europe n'est pas d'actualité, chacun assure ses arrières en essayant de rendre sa langue
la plus attrayante possible l'enjeu politique et économique étant loin d'être
négligeable.
Si Alphonse Boudard déclare que «l'orthographe s'est toujours réformée toute seule, en
douceur, en souplesse. En matière de langage, c'est le peuple qui décide.», il n'en va pas
de même de ce côté-ci du Rhin car, malgré une opinion publique majoritairement
défavorable ajoutée aux efforts de Gunda et Thomas Elsner pour enrayer la réforme de
l'orthographe, la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a pu donner son feu vert aux
réformateurs. Plus rien ne semble désormais en mesure d'entraver son application et ce
sont plus de 122 millions de personnes (Allemands et germanophones confondus) qui d' ici
2005 devront apprendre et se faire à une nouvelle orthographe.
Si tout le monde a entendu parler de cette réforme et de ses grandes lignes tous ne la
connaissent pas forcément dans le détail. Pour pallier cette lacune je vous propose de
visiter le site de l'IDS
(Institut für deutsche Sprache) de Mannheim qui traite le sujet en long et en large. On y
trouve en effet des prises de position, des communiqués de presse, des documents
officiels (dont le jugement du 14 juillet 1998 de la Cour Constitutionnelle), des tests de
logiciels chargés de convertir vos textes "préhistographiques" en
"néorthographe" ainsi qu'une bibliographie portant sur le sujet. Ceux qui
veulent parer au plus pressé trouveront toutes les règles et la nouvelle graphie
lexicale à l'adresse suivante: http://www.ids-mannheim.de/grammis/reform/inhalt.html#Vorwort
. Je vous propose de faire un petit test de vos connaissances orthographiques fraîchement
acquises au http://www.firstsurf.com/orthoqu.htm
:13 questions qui ont, paraît-il, fait fumer les cerveaux de la rédaction du Duden vous
y attendent !
Mais pourquoi vous parler en ces colonnes de la réforme orthographique allemande?
Peut-être parce que à l'heure où les ministres français oublient les règles les plus
élémentaires de l'accord du participe passé, il serait bon de rappeler que la France a
elle même connu, il y a de cela peu de temps, les affres d'une réforme orthographique.
Tout a commencé en 1988 avec un article de "L'École libératrice", journal du
syndicat enseignant SNIPEGC, qui constatait que l'Académie Française, rompant avec la
tradition, avait apporté comme dernière modification orthographique notoire à son
dictionnaire le remplacement du tréma de poëte par un accent grave et la suppression du
deuxième h de phthisie. Ces dernières modifications datant de 1878, "L'École
libératrice" décida d'effectuer un sondage auprès de ses lecteurs pour savoir si
l'heure était venue de réformer la sacro-sainte orthographe. 90% des 1150 personnes
interrogées se prononcèrent en faveur d'une réforme. Le journal Le Monde prit alors le
relais en publiant, le 7 février 1989, un article intitulé moderniser l'écriture du
français dans lequel dix linguistes et grammairiens se faisaient les porte-parole du
changement orthographique. Le 24 Octobre 1989 le premier ministre Michel Rocard leur
emboîtait le pas et demandait au Conseil supérieur de la langue française de se pencher
sur le dossier. Les points à étudier portaient essentiellement sur l'accentuation, le
trait d'union, le participe passé et la formation du pluriel. Le 3 Mai 1990 Maurice Druon
président de la commission orthographique du Conseil supérieur de la langue française
et secrétaire perpétuel de l'Académie française présentait aux académiciens un
projet de rectifications orthographiques qui, à la surprise générale, fut approuvé à
l'unanimité et publié le 6 décembre 1990 dans le Journal Officiel.
L'ambition des corrections orthographiques se limite comme nous le dit André Goosse à
corriger quelques anomalies, entériner dans l'orthographe des changements récents de la
prononciation, introduire des règles là où régnaient l'arbitraire et le désordre. Ces
corrections orthographiques se laissent résumer en quelques points:
-- évènement et non pas événement comme il était
jusqu'alors d'usage. je célèbrerai et non pas célébrerai
, etc.
Exceptions: a) les préfixes dé- et pré -
(dégeler, prévenir, etc.)
b) les é initiaux (échelon, édredon, élever, etc.)
c) médecin et médecine
Vous retrouverez ces règles de rectifications orthographiques ainsi que la liste des
mots rectifiés les plus fréquents sur le site de l'Association Pour l'Application des
Recommandations Orthographiques (APARO) . Il est regrettable, lors de la consultation
de cette liste, de constater qu'elle fait preuve d'une misogynie sans nom puisqu'elle
enlève aux femmes les attributs de la féminité qui depuis la nuit des temps
provoquaient l'émoi de la gent masculine. Pire, elle va jusqu'à les comparer à des
asticots et autres moucherons. En effet, les rondeurs féminines au charme envoûtant
s'orthographiaient traditionnellement appas ce qui permettait de les dissocier de leur
homonyme appâts dont le petit Robert donne la définition suivante: Pâture qui sert à
attirer les animaux pour les prendre . Il est certes vrai que le comportement de certains
à la vue de tant d'atours nous rappelle à la dure réalité darwinienne mais qualifier
d'appâts les fruits défendus relève de la plus grande des indélicatesses voire de la
muflerie.
Vous aurez remarqué que l'on ne parle plus de réforme mais de recommandations car, face
à l'opinion publique réticente, l'Académie française exprimait dans un communiqué le
17 janvier 1991 son désir que les recommandations ne soient pas mises en application
par voie impérative . Personne n'est donc contraint d'appliquer ces nouvelles règles qui
coexistent donc avec les anciennes, c'est en cela que l'évolution orthographique
française diffère de l'allemande qui, elle, est imposée par décret. Cet état de fait
est bien révélateur des différences de culture qui peuvent exister entre ces deux pays:
l'allemand, fidèle à la maxime il vaut mieux prévenir que guérir , anticipant la
décision de la Cour Constitutionnelle a investi des millions de marks et argue du
sacro-saint argument économique pour ne pas faire machine arrière face au tollé
général, le français, lui, plutôt adepte du laisser-faire n'a rien mis en ¦uvre et,
face aux récriminations générales, laisse planer un doute artistique qui ne cessera
d'exaspérer les linguistes en quête de vérité. On remarquera que l'application des
recommandations est plutôt frileuse dans l'hexagone alors qu'en Belgique et au Québec
les périodiques, les ouvrages et les particuliers sont plus nombreux à l'appliquer.
Si cette réforme de l'orthographe a été tant contestée en France c'est peut-être dû
au fait que Bernard Pivot depuis 1985 a fait un gros effort de sensibilisation des
français en organisant des concours d'orthographe fortement médiatisés. Et peut-on
rêver meilleur exercice pour tester son orthographe que de s'exercer aux dictées
de Bernard Pivot
? Vous y trouverez également des questionnaires à choix multiple, des trucs, des
exercices sur les noms de genre difficile...
Il est à noter que beaucoup d'autres dictées sont à votre disposition, dont la fameuse
de Mérimée
et deux plus particulièrement destinées aux lycéens. La première
s'adresse au directeur d'un établissement scolaire et a le mérite de bien amuser les
élèves: d'autant plus qu'elle n'est pas trop difficile. La seconde est une
dictée piégée rassemblant toutes les fautes les plus fréquentes trouvées dans les
copies. Si ces exercices soulèvent en vous des questions restant sans réponse, plutôt
que de rester vivre dans l'incertitude et l'angoisse de la faute d'orthographe contactez Orthonet le service du Conseil
International de la Langue française qui se charge de répondre à vos
questions. Vous y trouverez d'ailleurs un complément d'information fort intéressant
afférent aux orthographes
nouvelles à la page du site.
Les rectifications orthographiques de mai 1990 ne sont pas une première dans la longue
histoire de la langue française; pour se rendre compte du chemin parcouru il suffit de
compulser les huit éditions du Dictionnaire de l'Académie
française de 1694 à 1935 .
Laissons, si vous le voulez bien, le mot de la fin à Bernard Quemada Vice-président du
Conseil supérieur de la langue française qui déclarait à France-Soir [...] L'on ne
dira jamais assez combien l'orthographe est le vêtement de la langue. Il est donc normal
que l'on cherche à l'ajuster le mieux possible. ... Que l'on me permette d'ajouter que
nulle obligation n'est faite de se mettre au prêt-à-porter.
© 1998, X.BIHAN. Tous droits réservés.