Il semble désormais acquis que la langue française ne soit plus en mesure de contester à l'Anglais son rôle de langue universelle. Pour obtenir ce statut, une langue doit faire la preuve de son caractère fédérateur, ce qui pour la langue française est loin d'être toujours le cas. Au sein de la Francophonie chacun défend jalousement son français et chacun a des idées bien arrêtées quant à l'évolution à lui donner. Si la volonté impérieuse de s'unir contre la langue anglaise, l'ennemi commun déclaré, permet d'arriver à un certain consensus qu'il soit lexical ou autre, il n'en est pas de même dans l'hexagone.
La Circulaire ministérielle du 11-3-1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre avait déjà commencé à semer le trouble dans les esprits. Assez peu précise, elle avait été rapidement ignorée et n'avait pas trouvé de réelle application. Ce n'est que très récemment que le débat a été relancé par les femmes ministres du gouvernement désireuses de se faire appeler «madame la Ministre» et non plus «madame le Ministre» comme le veut l'usage. Cette revendication a mis le feu aux poudres et a déclenché une vive querelle entre académiciens et politiciens. Pourquoi une telle levée de boucliers de la part des hommes en habit vert? Tout simplement parce que ce qui pourrait passer pour un point de détail révèle un malaise grammatical profond: l'absence du genre neutre dans la langue française, ou plus précisément de forme concrète du neutre. Car le neutre existe bel et bien en Français, à condition que l'on tienne compte de son fort degré d'abstraction.
Il est bon de rappeler, comme le fait Maurice Druon dans son pamphlet Bon Français et féminisation qu'en français la marque du féminin ne sert qu'accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. Les mots souris, grenouille, taupe, sont du genre apparemment féminin, mais englobent les mâles de l'espèce. Il en va donc de même pour le masculin: pour reprendre un exemple fourni par MM. les professeurs Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss, lorsque l'on dit «tous les hommes sont mortels» cette loi implacable de la nature s'applique hélas, également à la gent féminine! Par ailleurs, lors de mon service sous les drapeaux j'ai entendu bon nombre de mes camarades d'infortune se plaindre (en silence) d'avoir été désignés comme recrues et par la suite comme sentinelles. Mais sincèrement, je ne crois pas qu'ils faisaient allusion à leur virilité outrageusement bafouée par cette féminisation subite de leur état. Inversement, je me souviens bien, alors que je remplissais les fonctions d'interprète du général français de Berlin, d'une réunion d'officiers parmi lesquels se trouvait une femme ayant le grade de général. Elle n'aurait pas été flattée d'être appelée madame la générale ce qui l'aurait rabaissée au rang d'épouse de général.
Quoi qu'il en soit, l'Académie Française s'étant adressée directement au Président de la République, le premier ministre M. Lionel JOSPIN a choisi le 8 mars, Journée internationale des femmes, pour apporter son soutien à ses ministres (ou devrait-on dire ministresses ? ) en publiant dans le Journal Officiel une circulaire appelant le gouvernement à recourir aux appellations féminines.Cette querelle de clocher ne devrait pas perturber durablement le bon fonctionnement de la société française mais il est fort regrettable de constater que la France n'en sortira pas grandie. D'une part l'Académie donne fortement l'impression d'être vexée de voir les «hommes politiques» empiéter sur ses plates-bandes, d'autre part les femmes ministres mettent dangereusement en cause leur crédibilité et les acquis de leurs aînées. Leur revendication tendrait à conforter ceux qui pensent que certaines de ces dames ne doivent leur poste non à leurs compétences mais à un quota, encore officieux, à remplir de ministres féminins. Aux yeux de beaucoup la thèse de la femme alibi, a été confirmée, par Ségolène Royal (sans e) ministre de l'Enseignement scolaire qui, répondant à un citoyen soucieux de vérité historique, a malencontreusement malmené l'orthographe française à deux reprises, se mettant ainsi à la portée des quolibets des immortels.
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Mais avouez qu'il y a de quoi y perdre son...français ! On a encore en mémoire la fameuse révolution sexuelle des années 60 qui, si l'on s'en réfère à Sylvie Vartan et à sa chanson "Comme un garçon", consista à se parer des attributs réservés à la masculinité tels que les pantalons, les blousons, les ceinturons et les cheveux longs. À croire que la femme voulait devenir homme ! Aujourd'hui, revirement de situation, les femmes veulent redevenir femmes ! Trêve de plaisanteries, un détour par L'annuaire au féminin , un site consacré aux droits de la femme , s'impose.
Ne nous faisons pas d'illusions, la course est perdue d'avance pour les académiciens et on finira bien par tolérer l'usage de madame la Ministre, la déléguée... Mais les quelques professions, fonctions, grades et titres féminisés resteront des exceptions qui compliqueront un petit peu plus l'apprentissage de cette langue qui paraît être parfois davantage régie par ses exceptions que par ses règles grammaticales.
Les personnes désireuses d'approfondir le sujet trouveront à l'adresse suivante http://www.teluq.uquebec.ca/diverscite/outils/ressourc/r02.htm un site québécois consacré au sujet de la féminisation des titres qui fut acceptée dès 1976 par l'Office de la langue française.




X.BIHAN (FSU 3/98)


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