Féminisation (suite)

L'événement, fin 98, en matière de création de sites internet, aura été, sans conteste, l'arrivée inattendue de l'Académie française sur le réseau. Cette institution ne nous avait guère habitué, de par le passé à nous tenir au courant de ses travaux et semblait se contenter d'un rôle d'apparat dans lequel elle se complaisait. Alors pourquoi ce changement de comportement et cette médiatisation inhabituelle?
Il semble que la solution réside dans le débat concernant la féminisation des noms de métier, grade, titre ou fonction. Rappelons les faits: début 98, plusieurs ministres femmes du gouvernement Jospin décident de se faire appeler officiellement «madame la ministre» . Contrairement à son habitude la réaction de l'Académie française, gardienne de la langue, fut prompte et d'une rare véhémence. Probablement piquée au vif de ne pas avoir été consultée, elle part en croisade contre cette vague féministe, finissant par s'adresser à son protecteur, le président de la République, en lui rappelant qu'«il n'apparaît pas que les décrets d'attribution ministérielle confèrent aux ministres la capacité de modifier de leur propre chef la grammaire française et les usages de la langue» . Le ton montant entre les partisans du «le» et ceux du «la» le premier ministre confiait à la Commission générale de terminologie et de néologie , le soin de trancher sur la question. La commission travailla pendant sept mois, étudiant tous les aspects grammaticaux, sémantiques, historiques, sociologiques, juridiques et même constitutionnels du problème. Elle s'informa également des essais de féminisation, essais incertains et discutés, tentés au Québec, en Belgique francophone, dans le Canton de Berne et même au Conseil de l'Europe. Elle compara les règles d'attribution des genres avec celles d'autres langues, notamment la langue allemande. Son rapport fut rédigé par Madame Christine Le Bihan-Graf, auditeur au Conseil d'État. Rapport qui fut remis au premier ministre le 21 octobre dernier et disparut au fond d'un tiroir!
Ce rapport long de quelque cinquante et une pages ne semble pas avoir été du goût du gouvernement et c'est probablement son passage aux oubliettes qui a poussé l'Académie à créer son site internet pour briser cette conspiration du silence.
Cette démarche est symptomatique puisqu'elle marque un retour de l'Académie à sa fonction originelle voulue par Richelieu et Louis XIV qui était de créer une langue utilisable à l'échelon national et international comme outil de culture et d'administration. À l'occasion du lancement du site de l'Académie française , son secrétaire perpétuel, Maurice Druon, a prononcé un discours, dans lequel il dévoile les conclusions circonstanciées de la Commission générale de terminologie et de néologisme. Permettez-moi d'en citer ici les passages les plus marquants: «...La forme la ministre, qui est à l'origine de tout, est explicitement condamnée. La Commission ne saurait légitimer cette distorsion de la langue, dont l'emploi est loin d'être général et trop récent pour être qualifié d'usage. Par un souci de courtoisie, la Commission a admis que, s'agissant des appellations utilisées dans la vie courante (entretiens, correspondances et relations personnelles) concernant les fonctions et les grades, rien ne s'oppose, à la demande expresse des individus, à ce qu'elles soient mises en accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient féminisées ou maintenues au masculin
générique selon les cas. Ce qui signifie poliment qu'il est loisible aux femmes ministres,
femmes présidents, femmes directeurs d'administration générale, comme à tout un chacun, de commettre des fautes de français et d'en faire commettre à leur entourage. Mais dans le privé seulement.»
Le Centre international d'études pédagogiques propose, à ceux qui trouveraient trop obscure l'argumentation de la Commission générale de terminologie et de néologie, de répondre à dix questions sur le sujet: Quelle est l'origine de la polémique actuelle? Que disent les textes officiels? Quels sont les arguments de l'Académie française? Qu'est-ce que le genre du point de vue de la linguistique? Genre et sexe coïncident-ils en français? Quels sont les cas de disparité entre genre et sexe? Le masculin est-il générique? Pourquoi les noms de métier ou de fonction posent-ils un problème? Que nous apprend l'histoire de la langue? La langue peut-elle continuer à former des féminins sur des masculins? Vous pourrez télécharger le fichier contenant les réponses à l'adresse suivante: http://www.ciep.fr/chroniq/femi/femi.htm .
N'allez pas pour autant croire que les mouvements féministes abandonnent aussi facilement le combat et délaissent ce nouveau champ de bataille qu'est devenue la langue. Le C.E.R.F. (Cercle d'étude de réformes féministes) entend bien transformer la déclaration des droits de l'homme en déclaration de la personne humaine. Les immortels ne sont pas au bout de leurs peines.





X.BIHAN (FSU 1/99)




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